NO MAN'S LAND PROJECT 2010

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Sa majesté le Drake I Isabelle Autissier I

Dans le langage convenu du sud du 50ème sud, on dira "C'était un bon Drake !" Drake, comme un nom commun, un nom mille fois connu et répété du genre "AvenueCharles de Gaulle".  Notre avenue de triomphe à nous se situe entre 53° et 62° sud et conduit du cap Horn à l'Antarctique. En ces mois d'été austral, les voiliers y croisent les paquebots de tourisme, les uns au champagne, les autres aux embruns. Dans la gente  voileuse, personne n'affronte ce passage du Drake sans une certaine appréhension. Les histoires de démâtages, de bateaux roulés par les vagues, de tabassages en règle par un nord ouest vicieux et une mer croisée sont légions ; chaque skipper suppute donc longuement sur le ponton, échange avec les autres d'un air entendu sur l'état de sa majesté le Drake,  ses humeurs et la prochaine fenêtre météo qui permettra de s'élancer. On largue gravement les amarres. Un Drake, ça se mérite, ça se respecte !
Quand on se retrouve de l'autre coté, vient le temps des commentaires. Pour être un vrai marin, on doit être sobre : "C'était un bon Drake !" suffit à indiquer que le navire et son équipage ont atteint l'autre rive sans dommages importants.
Si l'on y regarde d'un peu plus près, le nôtre a été réellement bon, pas d'avaries majeures autres qu'un capot fuyant (certes désagréablement) sur les occupants des couchettes de dessous, un peu de gas-oil échappé d'un tank répandant une odeur légère quoique persistante et les inconvénients gastriques propres, chez certains néophytes, à la fréquentation brutale de la houle australe. Le vent nous a été favorable de nord ouest à est après une zone de calme, mais n'excédant jamais 30 nœuds et surtout permettant de faire une route directe et rapide. La fenêtre était la bonne, en 4 jours Ada 2 nous a menés de Puerto William à l'île Déception, fleuron des Shetlands du Sud, par 62° Sud. J'avais tort d'appréhender le comportement à la mer de ma pauvre Ada surchargée de 5 tonnes d'eau, gas-oil, de nourriture et des divers instruments indispensables à l'épanouissement des alpinistes et des marins. La brave fille relevait crânement le nez à chaque vague.
Coté équipage, avouons que nous n'étions pas partis au mieux de notre forme, entre angine et bronchite, mais confiants dans l'air du large pour chasser les microbes. De nos trois alpinistes, nous décernerons sans conteste à Patrick la Palme du pied marin, qui réussit à tenir ses quarts et à barrer, malgré quelques épisodes douloureux au moment des séances d'habillage et de déshabillage particulièrement longue, malheureusement, sous ces latitudes. Ses deux compagnons de cordée n'auront connu que le plafond de la bannette ou le fond du seau en guise d'horizon. Nul ne songerait à les blâmer. La vie dans un réduit froid, humide et remuant en permanence, que l'on appelle la navigation à voile dans le Grand sud, n'est pas à  priori un sport réconfortant. Et pourtant, dès que l'on peut sortir, se gaver les yeux de cet horizon gris qui a des airs de début du monde ; dès que l'on peut se voir voler avec l'albatros en effleurant la houle ; dès que l'on peut se sentir simplement bien là, en phase avec cette nature, habitant de ce globe liquide, passant émerveillé et discret, le paradis n'est pas loin.
Une traversée est une longue histoire, quelque soit sa durée, un moment où le temps s'étire et où les êtres s'affinent, une sorte de sas indispensable entre la vie d'humains pressés et un autre état plus propice à la communion avec ce que cette nature saura nous donner.
Puis vient l'ailleurs : l'Antarctique. C'est d'abord la grande forme blanche de l'île Smith dont les sommets à plus de 2000 m sont visibles à plus de 100 km, puis quelques gros icebergs, puis d'autres îles croulant de blanc et frangées de cailloux noirâtres. L'Antarctique qui semble immuable et éternel... ; est ce si sûr ? En tous cas nous voilà à pied d'œuvre pour plus de 2 mois, impatients et circonspects.
Voilà deux ans que nous faisons tout pour y être, nous y sommes !

VIDEO I Traversée du Drake. Durée 6mn 17s
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